Faire des cités des morts celles des vivants

Villes dans les villes, cathédrales d’os enfouies, ruelles de désespoir et de cris, les cimetières sont les territoires de la mort délaissés au milieu des vivants.

La peur viscérale de la mort

Dissimulés derrière des murs, les arbres tendant leurs branches vers le ciel, les cimetières sont de plus en plus marginalisés, s’étendant à l’infini en mornes rangées de tombes et n’occupant plus le cœur des villes.

En discutant de ce phénomène symptomatique avec un ami chrétien, nous avons notamment évoqué la perte des pratiques religieuses, comme la veillée des morts, et le manque de place dans les cimetières à proximité du seul lieu de socialisation du hameau : l’église. Bien que je partage en partie cette analyse, je vois encore dans ces pratiques religieuses une peur fondamentale de la mort; les croyants prient pour une continuité après ce passage inéluctable.

L’hyper-individualisation et l’allongement de l’espérance de vie ont également joué un rôle crucial dans cette intolérance envers la mort. Nous prenons nos distances avec toute vision de la Faucheuse, de notre consommation quotidienne de viande à la modération des contenus Internet.

La mort devient aussi un casse-tête bureaucratique pour laquelle on organise une cérémonie rapide au budget conséquent – heureusement dans un cadre respectueux. Les lieux d’inhumation devenant si coûteux, la crémation est désormais privilégiée.

De nouvelles racines pour le deuil

Le rite de la mort s’accompagne de celui du deuil. Avoir un lieu où pleurer et célébrer semble d’une grande importance, presque universelle. Je me sens donc en décalage lorsque je fais mon deuil. Non pas parce que je suis géographiquement éloigné des êtres perdus, mais parce que je ne trouve dans les cimetières aucun réconfort.

La perte de proches est pour moi un rite de passage psychologique, révélant la finitude de notre existence. Sa matérialisation en pierre, cercueils et monuments durables, en compétition les uns avec les autres pour la postérité, me semble plus que futile. Visiter le palais de ma mémoire est pour moi un vecteur de deuil plus puissant et une connexion plus profonde.

Craignant davantage la mort de mes proches que ma propre disparition inconsciente, je ne voudrais jamais voler de l’espace aux vivants. La postérité – si nécessaire – peut se matérialiser de manière protéiforme et surtout sobre.

Alors, comment pourrions-nous transformer ce royaume mortuaire abandonné - dont la surface fait deux fois la taille de Paris - en un royaume des vivants ?

S’enraciner dans un cycle naturel

Séparer nos corps du sol avec du bois ou de la pierre illustre notre déconnexion aux cycles naturels. Bien que des contraintes sanitaires existent pour les enterrements traditionnels, de nouvelles pratiques, comme le compostage des corps, émergent. Si seulement cette option était disponible en France, considérez cela comme une partie de mon testament : être pleinement rendu à la terre.

Cette peur de disparaître matériellement pourrait être apaisée en reconnaissant notre ultime pouvoir : redonner la vie par notre mort. J’imagine nos corps comme des réceptacles de ressources essentielles, permettant à la nature de s’épanouir à nouveau là où s’élevaient auparavant des pierres tombales. Je vois dans les cimetières de nouveaux espaces de commémorations paisibles et célébrant la vie. Je vois des prairies, des bois, des floraisons éternelles, des plantes nourricières comme seuls ornements de cette sépulture collective. J’entends des craquements, des gazouillis, des chants et des pleurs; la mélodie symbiotique des endeuillés et de la faune sauvage.

Seules des plaques rappellent où les disparus ont contribué à ce havre terrestre. Un Eden athée où ni Adam ni Ève ne devraient nommer ni contrôler les animaux. Un Eden célébrant avant tout la vie dans la mort et la mort dans la vie, complétant les cycles jusqu’à la fin des temps.

Making the cities of Death the ones of the Living

Cities within cities, buried cathedrals of bones, alleys of despair and cries, cemeteries are the unvisited death territories among the living.

The visceral fear of death

Concealed behind walls, trees reaching out to the skies, cemeteries are more and more marginalized, not longer at the heart of cities, to expand endlessly in morn rows of tombs.

Discussing this symptomatic pattern with a Christian friend, we namely spoke about the loss of religious practices, such as the vigil of the dead, and the lack of space in cemetery next to the hamlet’s sole socialization cite: the church. Although I agree partly to this assumption, I see still in religious practices a fundamental fear of death as people pray for a continuation after this inescapable passage.

Hyper-individualization and life expectancy improvement have also played a crucial role in this diminishing appreciation of death. We distance ourself from any visible association with the Grim Reaper, whether it is from our everyday consumption of meat or the moderation of content on the net.

Death is also becoming a bureaucratic nightmare for which we set a quick - yet respectful - ceremony and allocate a consequent budget. The burying sites, becoming so expensive, cremation is now preferred.

New roots for mourning

The rite of death also goes by the one of mourning. Having a location to cry and celebrate seems of great importance and almost universal. I thus feel outcast when mourning remotely from my hometown for my losses. Not because I am geographically away, but because I don’t find in cemeteries the comfort I seek.

Death of close relatives is to me a psychological rite of passage, unveiling the finitude of our existence. Its materialization in stone, coffins and lasting landmark competing between eachother for posterity thus seems futile to my eyes. Visiting the palace of my memory is the vector of a stronger mourning and connection to who I lost and what was lost with this person.

As I fear the death of my loved ones more than my unconscious disapearance, I would never want to steal space to the living. Posterity - if any is needed - can be materialized in many ways. So, how could we make the abandoned realm of the Dead, which now represents twice the size of Paris in France, into the realm of the Living?

Rooting for a natural cycle.

Separating our corpses from the soil with wood or stone, illustrates our disconnection from natural cycles. Although sanitary constraints lie in traditional burials, new ones, namely the composting of bodies, rise. If only this option were available in France, consider this a part of my will to be fully given back to earth.

This fear of material disapearing might be alleviated by recognizing our ultimate power to bring life with our death. I envision our corpses as receipients of core resources helping nature to thrive again in what was previously a field of risen stones. I see in cemetaries new realms of peaceful and life-affirming commemorations. I see meadows, woods, evergreen flowers, nurishing plants as sole endornments for this common grave. I hear crackings, chirpings, songs and cries, coming from the symbiotic melody of mourners and wild life.

The only presence of plaques reminds where the lost ones contributed to this haven on earth. An atheist Eden where nor Adam nor Eve should name and control animals. An Eden celebrating primarily life in death and death in life, completing circles until the end of time.

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Les murmures des Daimons