Parcours vers “l’élite”: l’exception étrange des prépas

Sketch of a blog post exploring the odd exception of French classes préparatoires (CPGE)

Après avoir rapidement abordé les goulets d’étranglement problématiques du collège et du lycée que j’ai vécus, je souhaitais poursuivre cette série d’articles sur une spécificité française : les classes préparatoires aux grandes écoles.

L’« élite »

Les classes préparatoires aux grandes écoles de commerce, de sciences politiques ou d’ingénieurs sont deux années de préparation intense aux concours nationaux, sésames pour intégrer l’école de ses rêves. Mais avant de passer ces concours, il faut accéder aux prépas les plus sélectives pour optimiser ses chances de réussite; et cela signifie devoir malheureusement être le premier de sa classe au lycée, avec des résultats exceptionnels.

Pour être honnête, bien que mon parcours scolaire ait été celui d’un « bon élève », je n’avais aucune idée de cette voie académique avant le dernier trimestre de ma première. J’étais généralement dans le top 5 de ma classe de 30 élèves, jusqu’à ce que je découvre la sélection rigoureuse à laquelle je devais me préparer. À partir de là, j’ai consacré le maximum de mon temps à atteindre la première place – déclenchant une compétition que je détestais, alimentée par certains camarades, dont l’une m’a un jour arraché mon téléphone des mains pendant que je consultais mes notes sur l’application du lycée.

Une fracture nationale

Avant de quitter Nice pour Paris, je n’avais pas conscience du fait que les établissements parisiens proposaient des programmes bien plus avancée que ceux de « la province » : dénomination arrogante pour grouper toute ville, hameau ou village situé en dehors de la ville lumière.

Pour me vanter avant de tomber, j’ai obtenu 19,8/20 au bac. Il faut dire que j’étais à Nice, roi borgne au milieu des aveugles : je n’avais aucune idée que je passerais toute ma classe préparatoire au bas de l’échelle, peinant avec une moyenne en mathématiques de 5/20.

En plus du très haut niveau des Parisiens, la fracture géographique se manifestait également par une asymétrie d’information. Tandis que ma prépa était l’une des mieux classées et reconnues dans les milieux bourgeois et aristocratiques parisiens, elle était totalement inconnue dans la ville du pan bagnat.

Une épreuve formatrice

La prépa fut sans conteste le défi académique le plus complexe que j’ai affronté. Entre la masse d’informations à gérer, les critères exigeants pour atteindre une note décente, les interrogations orales bi-hebdomadaires appelées « khôlles » et les devoirs hebdomadaires le samedi, j’ai passé deux années à étudier presque tous les jours de 8h à 22h.

J’y ai rencontré les esprits – académiques – les plus brillants jamais connus et que j’ai tenté de suivre. L’institution dans laquelle j’étais nous poussait à collaborer, mais je n’ai jamais réussi à trouver la bonne cadence avec ces êtres éthérés de savoir. Puis vint le côté sombre de cette voie académique.

Une intensité malsaine

Bien que les classes préparatoires encouragent une alimentation saine et un exercice régulier, si, comme moi, vous n’étiez pas issu d’un prestigieux lycée parisien, je peux vous garantir que vous ne pouviez pas maintenir un équilibre vie-travail satisfaisant.

La prépa est donc un marathon déséquilibré, à la fois pour le corps et pour l’esprit, épuisant par sa complexité.

Je pense avoir atteint les limites d’une santé mentale acceptable, bien que mes habitudes de déni me faisaient croire que j’étais résilient. Je me souviens de multiples moments où je faisais face à ma professeure de mathématiques sans même comprendre l’équation ni la question; des moments où je rattrapais des exercices qu’elle avait corrigés trois semaines auparavant. Je me rappelle avoir tenté d’apprendre les fondamentaux de la révolution industrielle au Royaume-Uni, en France, aux États-Unis, en Russie et au Japon, tout en essayant d’ajouter des anecdotes et des chiffres, comme l’écartement optimal des rails, pour paraître intelligent. Je me souviens d’avoir été humilié par mes propres limites.

Et je n’étais pas seul. Je me rappelle d’une amie proche partageant son parcours lors d’une journée sombre, un moment qui a pour toujours connecté nos esprits brisés. Je me souviens d’une personne souffrant de troubles alimentaires, d’une autre de stress intense.

Je me souviens, mais n’ai jamais ressenti; un état alarmant de léthargie mêlée de mutisme que mes parents décrivaient pour résumer mes révisions finales.

Un rayon de désespoir

Ce parcours fut à la fois merveilleux, naviguant sur des vagues de savoir, et tumultueux, coulant dans des marées d’états sombres. Je ne me suis jamais senti aussi intelligent et plein de théories, et pourtant si vide de capacités.

Je chéris cette période de ma vie, mais je ne voudrais jamais la revivre. Écrire à ce sujet ouvre une plaie d’encre, éclaboussant ce grimoire pour raconter cette histoire. Celle d’un étudiant qui se sentait capable de surmonter cette épreuve, mais dont la confiance et l’espoir avaient été si ébranlés qu’il postulait dans une autre université alors qu’il était en phase finale de sélection.

Je ne le répéterai jamais assez : un cursus ne reflète pas l’éventail complet de vos capacités. Les grands esprits que j’ai rencontrés étaient aussi torturés que le mien, et certains, amenés à diriger, faisaient pourtant preuve d’intelligence sociale plus que lacunaire.

A journey to “elitism”: the odd exception of “Prépas”

After swiftly covering the problematic funnels of middle and high school I experienced, I wanted to pursue this article series on a French specificity called “classes préparatoires aux grandes écoles”.

The “elite”

Preparatory classes to the great management, politics or engineering colleges, are two years preparing students to the national ranked exams, granting you the gold ticket to your dream school. But ahead of such exams you need to enter the most selective prepas to optimize your chance of success. And this unfortunately means being first of your high school class with outstanding results.

To be honest, although my school journey was the one of a good student, I had no idea about this academic track until the last 11th grade trimester. I usually was in the top 5 of a class of 30 until discovering the tedious selection I was up for. From that point on, I devoted the maximum of my time to reach the top of my class - triggering a competition I hated, raised by some of my class mates, who once wrenched my phone from my hand while I was checking my grades on the school app.

A national divide

Before coming to Paris from my southern Nice, I had no idea the capital would have ended programs light years ahead of what Parisians call with utmost arrogance “the province”: ie. whatever city, hamlet or village outside the city of Lights.

As unenlightened as it can be, the reality spoke for itself. Bragging before falling, I had 19.8/20 on my high school degree. I was in Nice, the one-eyed king among the blind: little did I know I would spend my full preparatory class at the bottom, struggling with an average grade in mathematics of 5/20.

In addition to the very high level of parisians, the geographical divide also manifested itself through information asymmetry. While my prépa was one of the best ranked and recognized in the parisian bourgeois and aristocratic milieu, it was absolutely unknown in the pan-bagnat city.

A formative hardship

Prépa was definitely the most complex academic challenge I faced. From the mass of information to deal with, the demanding criteria to attain a decent grade, the bi-weekly oral exams called « khôlles », and the weekly exams on Saturday, I spent two years studying almost everyday from 8am to 10pm.

I faced the most brilliant - academic - minds I had ever known, and tried to keep up with the pace. The institution I was in pushed us to collaborate but I never quite managed to find the right tempo with such etherial beings of knowledge. And then came the dark side of this academic track.

The unhealthy intensity

First of all, although preparatory classes would urge you to keep a healthy diet and regular exercise, but if, like me, you were not from prestigious Parisian high schools, I would guarantee you couldn’t keep a nice work-life balance.

The preparatory class is thus an unbalanced marathon both for the corpse and the grey matter scattered by its complexity.

I think I reached the frontiers of acceptable mental health, although my denying habits would tell me I was resilient. I remember multiple times facing the math teacher without even understanding the equation nor the question, and catching up with exercises she corrected three weeks before. I remember trying to both learn the fundamentals of the industrial revolution in the UK, France, US, Russia, Japan, all the while trying to insert fun facts and figures such as the optimal gaps between rails to try sounding smart. I recall being humiliated by my own limits.

And I was not alone. I remember a good friend of mine sharing her journey on a doom day, which had forever connected our broken minds till the end of dawns. I remember a person with eating disorders, another with severe stress.

I remember - but never felt - an alarming state of lethargy mixed with mutism my parents have described to summarize the final revisions I did in my home town. A time during which they could not talk to me.

The ray of hopelessness

This journey felt both wonderful, sailing through waves of knowledge, but also tumultuous, drowning in tides of dark states. I never felt so smart and full of theories and yet so empty of capabilities.

I cherish this period of life but would never like to live it again. Writing about it opens a wound of ink, splashing over this grimoire to tell a story. One of a student who felt capable of going through this hardship, but whose confidence and hope had been so shaken that he was applying for another university while being in the last selection phase.

I will never stress this more: a curriculum does not reflect the full spectrum of your capabilities. The great minds I met were as tortured as mine was, and not as socially intelligible as a lot of others can be.

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